le 06.05.21 à 18h

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Qu’en est-il des promesses de l’agriculture connectée ou de la viande cellulaire ? Vincent Tardieu et Gilles Luneau, tous deux journalistes, ont étudié de près ces nouvelles technologies pour vous donner une idée de ce qui est déjà dans les tuyaux de la production alimentaire.

 

L’agriculture connectée peut-elle sauver nos agriculteurs et notre alimentation ?

De la viande cellulaire à l’agriculture connectée, que nous concoctent les nouvelles technologies pour l’avenir de nos assiettes et de nos champs ?

Les lendemains de la révolution verte déchantent après avoir misé sur le tout mécanisé, l’utilisation massive de la chimie et la concentration des terres. Le modèle s’essouffle dangereusement et la faim ne cesse de croître dans le monde malgré les hauts rendements générateurs de surplus. La dégradation massive des sols, de l’eau, de la biodiversité, de la santé et du climat conduisent clairement à une impasse.

La High-tech serait-elle la solution pour une troisième révolution agricole capable de nourrir l’humanité sans détruire les ressources ?  Peut-être même en se passant des agriculteurs et du travail au champ ? Le solutionisme technologique frappe une nouvelle fois à notre porte.

Venez échanger avec Gilles Luneau et Vincent Tardieu, tous deux journalistes ayant mené des enquêtes approfondies sur ces sujets, lors du prochain live La technologie suavera-t-elle notre système alimentaire ?

Débat modéré par Christine Masson.

#villedurable #agriculture #technologie #hightech #alimentation

Intervenants

Vincent Tardieu

Journaliste scientifique

Spécialisé en agriculture et en écologie, Vincent Tardieu a travaillé de nombreuses années en quotidiens (Libération et Le Monde), puis a collaboré à de nombreux magazines (L’Express, Géo, Terre Sauvage, Science&Vie...) et réalisé plusieurs documentaires pour la télévision. Il coordonne depuis janvier 2017 le pôle Inspirer du mouvement Colibris (Paris) et est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages dont Pour sortir de l'anthropocène (avec Vincent Bretagnolle, à paraître aux Éditions du CNRS), Agriculture connectée. Arnaque ou remède ? (éditions Belin, 2017, prix Roberval 2017), Vive l’agro-révolution française ! (éditions Belin, 2012, prix TerrEthique 2014), ou L’étrange silence des abeilles. Enquête sur un déclin mystérieux (éditions Belin, 2009/2015, prix Jacques Lacroix 2016 de l'Académie française).

Gilles Luneau

Journaliste reporter, essayiste et réalisateur

Il a travaillé pour la plupart des grands titres de la presse Française. Il a été un collaborateur régulier du Nouvel observateur durant une vingtaine d’années pour le service de politique étrangère et est spécialiste des questions agricoles et agroalimentaires. Il a notamment abondamment collaboré avec José Bové pour l’écriture d’articles. Il est auteur de nombreux ouvrages dont le dernier Steak Barbare, hold-up vegan sur l’assiette est paru aux éditions de l'Aube en 2020 et réédité en collection de poche en avril 2021. Enfin, il a réalisé un certain nombre de documentaires sur les plus grandes chaines françaises (Arte, France 2, France3, France 5, France Ô et Public sénat).

I. Agriculture connectée

A. Un écosystème numérique riche et complexe pour faciliter le pilotage et réduire les pollutions

L’agriculture de précision a débuté au milieu des années 1980 aux Etats-Unis et au cours des années 1990 en France. En couplant technologies (géomatique, informatique, électronique) et agronomie, l’agriculture de précision apporte aux agriculteurs des solutions permettant l’amélioration des performances économiques et environnementales des productions. Elle facilite la réalisation des travaux grâce à un pilotage sur mesure intra-parcellaire et non standardisé. La maîtrise de la consommation de ressource (intrant, énergie, eau, finance…) afin de produire mieux est à la base de cette dynamique. Dis très simplement c’est la bonne dose, au bon moment et au bon endroit.

La ferme devient une structure connectée, dotée de milliers de capteurs collectant quantité de données. Des drones ou des satellites « scannent » les champs et mesurent en temps réel les indicateurs biologiques et physiques du terrain. Ces informations sont transformées grâce à des outils d’aide à la décision (OAD) en préconisations (diagrammes, cartes) pour adapter les traitements.

Plouedern : la ferme n'est-elle parfois pas trop connectée ?

Bernard est éleveur de vaches à Plouedern. Le fonctionnement de sa ferme repose désormais sur la technologie, il peut tout contrôler via son smartphone. Un gain de temps pour certains aspects mais la surconnexion n'a pas que des avantages.

 

B. Une agriculture connectée qui sous-estime les dangers sociaux et environnementaux

  • Une perte des savoir-faire paysans

« Plutôt que d’avoir un agriculteur augmenté, on risque d’avoir un agriculteur diminué, qui trouve moins de sens à son métier et perd le contact avec la nature et l’animal. La machine décide de tout, il devient un technicien informatique », dit Xavier Reboud, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).

  • Poursuite de la concentration des terres et aggravation de la dépendance financière et matérielle des agriculteurs

Ce modèle est réservé aux plus aisés et donc aux grosses exploitations agricoles orientées en monoculture.
En effet, le coût exorbitant de ces équipements risque de favoriser le surendettement des agriculteurs et l’impossibilité pour des reprises d’exploitations par des jeunes qui auraient envie de s’installer. La disparition des paysans risque donc de s’accélérer au profit des mastodontes agricoles.

  • La formation

Les parcours et options consacrés au smart farming pour les étudiants en agronomie sont entrés dans les programmes de formation des écoles agricoles, car les futurs ingénieurs seront amenés à conseiller et à travailler avec des agriculteurs pas toujours enclins à franchir le pas de cette 3ème révolution agricole, qui nécessite de maîtriser de nombreux outils numériques.
Par ailleurs, les Chambres d’agriculture adoptent une stratégie pour favoriser la formation des agriculteurs et des conseillers mais également de maitriser, sécuriser et valoriser les données produites.

L’agriculture numérique divise. Les partisans mettent en avant la simplification du travail d’agriculteur et les aides apportées par le numérique sur l’exploitation. Les détracteurs dénoncent la mainmise des grands groupes sur les données agricoles.
Dans la ferme connectée, les données, bien précieuses sont partout, sauf dans les mains des premiers intéressés. "Elles sont éparpillées entre de multiples acteurs : les fabricants de matériels, les chimistes, les coopératives, mais très peu restent chez l’exploitant", fait valoir Sébastien Windsor, le président des chambres d’agriculture.
Or, qui possède la donnée maîtrise le conseil. "Un fabricant de robots de traite concentre une masse de données que l’éleveur ne sait pas toujours appréhender, illustre Sébastien Windsor. Les exploitants risquent de se retrouver pieds et poings liés à leurs fournisseurs."

Au-delà des agriculteurs, ce sont les performances de l'agriculture de demain et la souveraineté de la France dans ce domaine  qui sont en danger.

  • L’empreinte carbone

On a encore très peu de retours sur l’analyse du cycle de vie de ces technologies.

II. Une rupture nécessaire avec notre régime alimentaire carné

A. Une population plus nombreuse à nourrir

La consommation de viande devrait augmenter de 70 % d’ici 2050

En 2017, 323 millions de tonnes de viande ont été produites dans le monde, selon l’Organisation des Nations unies.

Chiffre en augmentation constante : dans les pays émergents, la croissance de la classe moyenne entraîne une hausse de la demande en produits carnés. En Afrique, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) prévoit un bond de 200 % de la consommation de bœuf et de porc d’ici à 2050, et de 211 % pour la volaille.

Combiné à une population mondiale de 9 à 10 milliards d’individus, la consommation de viande devrait doubler en 40 ans.

Or nous savons que l’élevage industriel a de larges impacts sur la biodiversité, la gestion des ressources, le réchauffement climatique et sur le développement des zoonoses.

L’élevage est un contributeur important à travers deux gaz à effet de serre moins connus que le dioxyde de carbone (CO2) (déforestation, machines agricoles…) mais tout aussi néfastes, si ce n’est davantage : le protoxyde d’azote (engrais) et le méthane (fumier, ruminants). Ce dernier a un pouvoir de réchauffement 28 fois plus élevé que celui du CO2 et serait responsable d’environ 20 % de l’accroissement de la température (+ 1 ºC) observé au cours du siècle…

Ces problématiques de l’élevage intensif ont fait prendre conscience de l’urgence de modifier le régime alimentaire.

Ce changement de comportement alimentaire visant à réduire la consommation de viande est d’ailleurs encouragé par l’Etat, par l’instauration d’un repas sans viande au menu de la semaine dans les cantines scolaires. Par ailleurs, l’idée d’une taxe de durabilité sur la viande fait son chemin.

Même si  le véganisme et le flexitarisme ont gagné du terrain en Occident, ils restent relativement marginaux : en France, la consommation de viande a baissé de 12 % en dix ans.

L’idée  est donc venue à certains de produire une viande qui ne provient pas des animaux.

B. La clean meat : viande sans viande et viande de laboratoire

"Le 'bétail' n’existait plus. La viande était 'cultivée' sous la direction de chimistes spécialistes et selon les méthodes, mises au point et industrialisées, du génial précurseur Carrel…" Dans les années 1940, l’écrivain René Barjavel imaginait déjà dans son roman SF Ravage une viande du futur, issue de la culture de cellules animales ".

Presque un siècle plus tard, ce qui n’était alors que de la science-fiction est en passe de devenir réalité et pourrait même faire partie intégrante de notre alimentation quotidienne.

En 2040, environ 60% de la viande consommée sera soit cultivée en laboratoire, soit composée de végétaux, selon une étude d’experts américains.

Paul Shapiro dans son livre « Clean Meat. Comment la viande cultivée va révolutionner notre alimentation » mise sur la "viande propre " pour apporter la solution à l’alimentation planétaire.

1. Mais qu’est- ce que la viande de synthèse et est-ce l’avenir ?

*Définition

"L’agriculture cellulaire permet de reproduire des protéines animales sans recourir à l’élevage". Une alternative pour répondre aux défis du secteur agricole et aux besoins alimentaires croissants liés à la démographie et à l’urbanisation...

* culture cellulaire : du domaine médical à l’assiette

Mettre des cellules en culture ne date pas d’hier. Aujourd’hui, cette technique est même au coeur de l’innovation, avec des progrès considérables qui ont permis des avancées fabuleuses pour le traitement de certaines pathologies humaines.

La production cellulaire permet de reconstituer des tissus animaux en mettant en culture dans un milieu adapté des cellules directement prélevées sur l’animal, selon les méthodes déjà couramment utilisées en médecine régénérative notamment. C’est la méthode qui a été employée en 2013 par le Pr. Mark Post de l’Université de Maastricht pour fabriquer du steak haché in vitro. Pour ce faire, des cellules souches adultes (myoblastes) ont été prélevées dans le muscle d’une vache, puis multipliées dans un milieu de culture contenant du sérum de veau fœtal. Ce milieu riche en facteurs de croissance et de survie pour les cellules, permet la différenciation des cellules souches en cellules musculaires, qui se développent en formants de petites bandes de fibres musculaires. Environ 20 000 bandes ont été utilisées pour réaliser le hamburger de 5 onces (environ 142 g). Ce procédé peut varier, tant en termes de types de cellules prélevées que de conditions de culture. Memphis Meats ou encore Modern Meadow, deux startups américaines, utilisent les mêmes mécanismes initiaux pour produire, réciproquement des boulettes de viande et du cuir. Une telle méthode ne permet pas de reconstituer l’ensemble des éléments qui constituent un morceau de viande (cellules adipeuses, vaisseaux, etc.), mais elle permet d’obtenir un amas de tissu cellulaire, de type musculaire, rendant ainsi plus facile l’obtention de viande hachée plutôt que d’une pièce spécifique de viande.

Ces techniques sont également très utilisées dans d’autres domaines, notamment le domaine médical. Plusieurs startups déploient ces techniques aux Etats-Unis dans le domaine de l’alimentation. Une startup basée à San Francisco, Muufri, a, par exemple, mis au point un procédé utilisant ces techniques pour produire du lait in vitro. Les séquences d’ADN codant pour les protéines caséines du lait de vache, ont été clonées dans des cellules de levures qui vont produire les caséines à l’identique de celles trouvées dans le lait de vache. Après quelques jours de culture, les protéines de lait sont récupérées et mélangées à de la matière grasse, obtenues parallèlement, à partir de légumes, et modifiée au niveau moléculaires pour obtenir la structure et le goût de la matière grasse du lait. Un mélange de sucres et de minéraux est ensuite ajouté pour obtenir un lait in vitro très proche du lait de vache. Sur le même modèle, Clara Foods, autre startup basée à San Francisco, conçoit des blancs d’œuf à l’aide de levures génétiquement modifiées.

Ce mode de production permettrait également de diminuer l’exposition de la viande aux bactéries et aux maladies, le milieu de croissance étant parfaitement contrôlé et stérile.

Enfin, cela permettrait également de modifier la composition de la viande ainsi produite et d’en limiter ou éliminer les composants indésirables (composants responsables d’un potentiel risque de cancer, graisses saturées, etc.). De ce fait, la viande ainsi produite pourrait présenter une qualité sanitaire plus grande.

2. Le nouvel eldorado de la finance

Preuve du dynamisme et de l’intérêt croissant pour l’agriculture cellulaire, de plus en plus d’investisseurs prennent part à son financement et ont permis à plusieurs startups de réaliser des levées de fonds importantes.

Aux Pays Bas, pays très avancés sur le sujet, qui dès 2013 présentait un burger cellulaire composé de 20 000 minuscules morceaux de tissu cultives dans un laboratoire, la start-up Meatable a fait appel aux investisseurs pour poursuivre le développement de sa viande de synthèse de porc et de bœuf. Mais elle n’est pas la seule sur le marché, on assiste à une concurrence effrénée entre les start up pour être les premières à industrialiser et commercialiser cette viande.

Le défi est de développer des méthodes de productions qui permettent de faire baisser drastiquement le prix pour la rendre accessible au plus grand nombre.

En 2013, le premier steak de viande cultivée de 140 grammes avait un coût de production évalué à 250 000 euros, mais ce prix baisse jusqu’à atteindre aujourd’hui 45 euros environ pour une lamelle de 5 millimètres d’épaisseur. Avec l’avancée des méthodes de production, une autre étude de CE Delft s’attend à ce qu’un kilo de viande cultivée coûte un peu moins de 5 euros, soit moins cher qu’un kilo de bœuf en moyenne.

Le marché bénéficie d’alliés de taille pour perdurer : afin de faire fructifier leurs investissements, les multinationales, fonds d’investissement et autres milliardaires s’appuient sur les associations animalistes, favorables à la viande de laboratoire car c’est un des moyens de mettre un terme à un des usages importants de notre civilisation qui est de tuer les animaux pour se nourrir.

Les défenseurs de la viande de synthèse développent  même l’idée  d’un référendum d’initiative partagée (Rip) pour accroître leur influence auprès de l’opinion et l’adhésion à la viande cellulaire.

3. Viande cultivée en laboratoire : une fausse bonne solution ?

Les bienfaits environnementaux annoncés par les défenseurs de la viande de laboratoire ne font pas l’unanimité chez les experts : "Les études sur l’impact environnemental de la viande artificielle sont contradictoires, certaines disent que c’est semblable à l’élevage, voire plus important sur le long terme, tempère Sghaier Chriki, chercheur à l’Institut supérieur d’agriculture Rhône-Alpes (Isara). Il se peut que l’empreinte carbone de la viande artificielle soit plus faible, mais pas nécessairement à long terme.".  Aussi des aspects positifs de l’élevage qu’il faut prendre en compte dans cette comparaison : "En plus des émissions de gaz à effet de serre, il faut considérer le stockage de CO2 réalisé par les prairies qui nourrissent les bœufs dans les systèmes herbés (majoritaires en France), ou le bienfait pour la biodiversité de ces prairies", se défend-il.

Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Inra met en avant que les laboratoires utilisent du sérum de veau fœtal comme milieu de culture donc ils ont besoin de tuer des animaux.

Par ailleurs, il existe aussi de nombreuses incertitudes sur les avantages nutritionnels de la viande in vitro.

La viande artificielle est encore loin de faire l’unanimité chez les Français et au gouvernement.
Le 18 mars 2021, en séance de la commission spéciale chargée du projet de loi Climat et Résilience, le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie a rappelé son opposition au principe-même de la production et de la consommation de viande cellulaire en France.

Cette innovation technologique s’inscrit dans le droit-fil de l’industrialisation de l’élevage. Nous assistons en fait à la transition entre deux modèles de production : le premier fait naître et élève l'animal pour nourrir les hommes ; le second, issu des biotechnologies, s'affranchit des animaux, transforme les abattoirs en laboratoires et les agriculteurs en ingénieurs. C’est la négation du monde paysan et l’avènement d’une philosophie transhumaniste. Les agriculteurs sont donc très méfiants à l’annonce d’une école agricole par un financier de la viande in vitro.

Le monde entier dépendrait-il alors d’une poignée de multinationales produisant une nourriture issue de laboratoire et décidant du menu à nous faire aimer ?

Liz Specht, directrice adjointe du Good Food Institute, trouve que la viande artificielle permet « une réaction rapide aux changements du marché » (fini le temps où il fallait patienter le temps d’une gestation et laisser grandir l’animal) et résout « le problème d’équilibrage de la carcasse » (si les Américains préfèrent les ailes aux cuisses de poulet, pourquoi ne pas fabriquer que des ailes ?).

III. Agroécologie